Dès les premières lueurs de l’aube, Douillette, un village niché dans la commune de Chardonnières, dans le département du Sud, à la pointe sud-ouest de l’île d’Haïti, commence à s’éveiller. Les étals du marché se montent lentement, les enfants se hâtent pour rejoindre leurs écoles. Manita, 39 ans et enceinte de sept mois, traverse ce village en pleine effervescence pour se rendre au centre de santé de Rendel, soutenu par Médecins Sans Frontières (MSF), où elle suit des consultations prénatales. Elle arrivera là-bas deux heures plus tard, à 9 heures. Le trajet du retour est encore plus éprouvant : il lui faut gravir les montagnes, un effort d'autant plus difficile en raison de sa grossesse. ‘’Je mets beaucoup plus de temps pour rentrer chez moi, car je ne peux pas marcher rapidement’’, confie-t-elle.
Le séisme d’août 2021 a particulièrement touché le Sud du pays, endommageant de nombreux établissements de santé. « Il n’y a pas de centre de santé à Douillette. Le plus proche est à Rendel, puis à Port-à-Piment, à plusieurs heures de marche ou à une demi-heure à motocyclette. Chardonnières est encore plus loin. En dehors de cela, il n’y a aucune autre structure sanitaire dans les environs », explique Manita.
La situation de la santé maternelle en Haïti reste préoccupante, comme l’indiquent les données du rapport statistique 2023 du ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP). En 2023, le taux de mortalité maternelle s’est élevé à 201 décès pour 100 000 accouchements, marquant une hausse par rapport aux 155 décès pour 100 000 en 2022. Le département du Sud est particulièrement affecté, avec un taux alarmant de 344 décès pour 100 000 accouchements, l'un des plus élevés du pays.
L’espoir grandit lorsque les soins de santé se développent
La maternité de Port-à-Piment, reconstruite et agrandie par MSF après le séisme de 2021 en collaboration avec le MSPP, est l'une des rares structures de la région à offrir une prise en charge complète : accouchements sécurisés, interventions obstétricales d'urgence, soins néonataux… et même un service de soins intensifs, le seul de tout le département. MSF y réalise environ 120 accouchements par mois, dont une vingtaine de cas compliqués. En 2024, près de 450 nouveau-nés y ont été pris en charge.
« Faute de structures de santé fonctionnelles, certaines femmes parcourent de longues distances pour accoucher à Port-à-Piment, parfois depuis Les Cayes, malgré la présence d'un hôpital. En Haïti, surtout en zone rurale, les accouchements à domicile restent fréquents », explique Mackencia Beaubrun, superviseuse MSF de l’équipe des sage-femmes.
Afin de réduire les risques liés à la grossesse, les équipes de promotion de la santé de MSF organisent quotidiennement des sessions de sensibilisation communautaire dans les villages environnants sur l’importance des consultations prénatales et les dangers associés aux accouchements à domicile.
Yvanne, de Grand Chemin, a accouché seule de ses six premiers enfants. Après des séances de sensibilisation avec MSF, elle a choisi le centre de santé de Rendel pour accoucher de son septième enfant. « Les discussions avec MSF m’ont convaincue d’éviter les risques car par chance, mes précédents accouchements s’étaient déroulés sans complication”, confie-t-elle. Sans transport, ses voisins et son fils l’ont aidée à marcher une heure jusqu’au centre. « Malgré la douleur, je ne voulais pas accoucher chez moi. » Aujourd’hui, elle se dit soulagée : « J’ai reçu beaucoup de soins et me sens bien plus rassurée. » ajoute-t-elle.
Outre la maternité de Port-à-Piment, MSF soutient trois centres de santé géré par le MSPP dans le département du Sud à Rendel, Tiburon et Chardonnières qui sont gérés par le MSPP, afin de renforcer l’accès aux soins dans les zones les plus isolées. Deux ambulances de MSF sont également disponibles pour assurer les références des accouchements compliqués des centres de santé ou de la communauté vers la maternité de Port-à-Piment.
Accéder aux soins de santé malgré les obstacles
Alors que la saison des pluies s’apprête à débuter, les conditions d’accès aux soins vont détériorer davantage. Pour des femmes comme Manita et Yvanne, les obstacles sont redoutables : lorsque les rivières en crue isolent les villages, l’accès aux structures de santé devient alors impossible. « Quand il pleut beaucoup, même si ton enfant est malade, tu ne peux pas l’emmener à l’hôpital, car il est impossible de traverser les rivières », explique Manita.
Manita et Yvanne n'ont d'autre choix que de mettre leur vie et celle de leur enfant en péril en affrontant un chemin semé d'embûches pour accéder aux consultations prénatales, postnatales, et même pour accoucher. « Si nous avions plus de centres de santé fonctionnels, les femmes enceintes pourraient accoucher en toute sécurité, et les enfants comme les adultes qui tombent malades recevraient des soins à temps », confie Manita.
Bien que le département du Sud soit à l'abri de l'insécurité qui sévit à Port-au-Prince, ce dernier souffre lourdement des conséquences de la crise qui frappe Haïti depuis plusieurs années. L’emprise croissante des groupes armés sur les principales routes d'accès isole la région de la capitale, et perturbe gravement l'approvisionnement en médicaments, sang et autres ressources essentielles pour les structures de santé. Parallèlement, l'exode de soignants haïtiens vers l'étranger aggrave la pénurie de personnel médical dans les zones reculées. La suspension des fonds américains, qui couvraient 59 % du plan humanitaire en Haïti en 2024, exacerbe la pénurie d’acteurs humanitaires. Ce gel fragilise l’accès aux soins et risque d’entraîner une hausse alarmante de la mortalité maternelle.
Principal FM
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