Plus de 600 personnes, en majorité des membres du secteur culturel, ont signé la pétition ‘‘Non, pas Prosper Avril » pour protester contre la participation du général Prosper Avril comme invité d’honneur à l’événement »Livres en folie » cette année. Le général Prosper Avril répond pour l’édification de tous.
À la publication le 12 avril en cours sur les réseaux sociaux d’une drôle de pétition me concernant, plusieurs amis m’ont appelé pour me faire part de leur indignation tout en me conseillant de ne pas prêter attention à cette méchante et malhonnête prise de position. Des intellectuels de haut calibre, tels le professeur Patrice Dalencour et M. Henri Piquion, se sont clairement prononcés sur l’inopportunité de cette démarche qui ne vise qu’à saboter la noble et utile initiative qu’est Livres en Folie. Pour eux, elle ne fait que jeter plus de confusion dans les esprits à un moment où tout vrai patriote devrait se sentir, de préférence, concerné par la situation actuelle, et s’attacher à mettre fin à la désastreuse crise fratricide qui ronge notre société depuis des années. Aujourd’hui, plus que jamais, l’existence même d’Haïti, en tant qu’État indépendant et souverain, se trouve menacée par cet état de fait qui risque de lui faire perdre sa place dans le concert des Nations, une place acquise de hautes luttes et au prix d’énormes sacrifices par les Pères fondateurs.
Cela dit, j’ai finalement décidé, après maintes réflexions et à contre-coeur, de réagir également, tenant compte du potentiel considérable de torts susceptibles d’être causés par les contre-vérités versées à dessein dans le public par les promoteurs de cette soi-disant pétition. À cet égard, on constate qu’ils ne se sont pas contentés de s’en prendre à moi seul, ce qui serait de bonne guerre, mais aux membres du Comité d’organisation de Livres en Folie qu’ils accusent, de façon péremptoire et abusive, de s’être «laissés aller sur le plan de l’éthique».
Depuis plus de trente-trois (33) ans, je mène une vie de retraité et me suis donné pour tâche de transmettre à la jeunesse une bonne part des leçons apprises et des expériences acquises au fil du temps. Il aurait été certainement bien plus facile de me retirer de la société, de mener une vie tranquille au milieu de ceux qui m’affectionnent, ou même de vivre à l’étranger. J’ai cependant choisi de rester dans mon pays, inspiré par mon amour de la Patrie, mon attachement au sol natal. Heureuse décision : ma production littéraire a atteint, depuis, une vingtaine d’ouvrages, à côté d’un riche répertoire d’articles publiés dans la presse et d’interviews données dans les médias, pour ma participation aux débats d’idées en cours dans le pays.
Cependant, l’expérience n’a pas été seulement positive. J’ai eu à payer le prix fort pour ce choix délibéré, arrêté que je fus, sans aucun motif, en l’année 2001, lors de la vente-signature d’un de mes ouvrages dans un restaurant de Pétion-Ville. Prétexte : complot contre la Sûreté de l’État. Sanction : trois (3) années d’emprisonnement. Pour le comble, maintenu en détention de façon illégale et arbitraire, j’ai dû affronter plusieurs chefs d’accusation qui, tous, ont abouti à des ordonnances de mise en liberté en ma faveur, qui, pourtant, n’avaient pas servi à m’ouvrir la voie à la liberté. Où donc était Lionel Trouillot, le prétendu auteur de la pétition, à ce moment-là? Disons qu’il était occupé, sans doute, à compléter la liste des chefs d’accusation dont j’étais accablé en y ajoutant les «crimes historiques» auxquels il fait encore allusion aujourd’hui.
Cette dure épreuve n’avait fait que raffermir ma détermination de continuer à écrire. J’ai pu ainsi assurer ma présence à toutes les éditions de Livres en Folie, soit en qualité de simple participant, soit en qualité d’auteur en signature. C’est cette fidélité à toute épreuve qui m’a valu d’être choisi comme co-invité d’honneur à l’occasion de cette 29ème Édition. Ce dont je me réjouis. Il est vrai que ce choix comme tout autre, n’aurait jamais fait l’unanimité, ce qui est compréhensible. Mais à constater qu’il donne lieu à une telle cabale dépasse absolument mon entendement. Le problème, c’est qu’il existe des intellectuels intolérants qui s’estiment être les seuls capables de penser pour la République. Ils ne se rendent pas compte que l’avènement de Livres en Folie a détruit le mythe qui faisait accroire que l’exercice de la profession d’écrivain était l’apanage d’un petit groupe de privilégiés. L’initiative combien louable de Le Nouvelliste n’a-t-elle pas, en effet, ouvert la voie à tous les talents sans considération d’ordre social, politique, confessionnel ou autre? Nous en voulons pour preuve le nombre considérable d’ouvrages publiés par des écrivains de toutes les catégories sociales, grâce aux éditions de Livres en Folie tenues régulièrement chaque année dans le pays, malgré vents et marées!
Il demeure évident que toute œuvre littéraire est sujette à la critique et, suivant son mérite, peut être louée ou désapprouvée, mais, en aucun cas, son auteur, quelle que soit son origine ou appartenance, ne peut être bâillonné ou intimidé sous quelque forme que ce soit, pourvu que l’ouvrage ne porte atteinte aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. Nul ne doit imposer à une société une politique basée sur une doctrine ou une pensée unique. Ma production littéraire totalise, pour les ouvrages publiés, près de six mille (6,000) pages. Je souhaite savoir combien parmi les signataires de la pétition peuvent affirmer, en toute honnêteté, avoir lu et apporté des critiques positives ou négatives à un seul de mes ouvrages dont certains, pourtant, ont été réédités plusieurs fois, à la demande du grand public.
Prosper Avril, un militaire de carrière certes, est aussi un universitaire qui a été façonné au contact de grands hommes tels que Louis Mars, Pradel Pompilus, Jean-Baptiste Romain, Jean Fouchard, Alain Turnier, sans oublier les architectes Gérard Fombrun et Albert Mangonès, avec lesquels il a travaillé au sein du Conseil d’Administration de l’Institut National Haïtien de la Culture et des Arts (INAHCA), malheureusement emporté par la mouvance de l’après-Duvalier.
Dans le même ordre d’idées, je ne cesserai jamais d’apprécier cette dédicace reçue de l’éminent géographe Georges Anglade à l’occasion de la publication de son ouvrage « Les Lodyans de Georges Anglade - Rire Haïtien » dont il m’avait gracieusement offert un exemplaire, et je cite: « À l’ancien de la Normale Supérieure, cette boîte qui sélectionnait ceux qui devaient faire la différence, Prosper Avril, au parcours vraiment peu banal de lieutenant-général, président, prisonnier politique. D’un écrivain de la Normale à l’autre. Considérations, Georges Anglade - 15 juin 2006. »
Je crois avoir prouvé, sans aucun doute, que Prosper Avril n’est pas un imposteur dans le domaine de l’écriture. Tous ceux qui me connaissent savent combien je me suis dépensé pour l’avancement et la promotion de l’art et de la culture dans mon pays. Aussi ai-je décidé de rejeter et de fait rejette cette pétition parce qu’inacceptable, erronée, mal intentionnée, nuisible sinon dangereuse, et survenue à un moment où Haïti traverse la crise la plus grave de son existence et requiert l’union de toutes ses filles et de tous ses fils pour en sortir.
Ce qu’il nous faut donc pour le moment, c’est une pétition qui rassemble et non celle qui amplifie la division.
Prosper Avril, Écrivain.
RTV, la vitamine des informations.